C'est le lendemain même, alors qu'après avoir écarté, comme indignes de nous, les points 9 à 11, purement matériels (« nature du passeport », « adresse permanente » et, « le cas échéant, autorisation de retour vers le pays de résidence »), nous faisions traîner le thé matinal, tels deux alpinistes qui s'attardent au chalet, soudain intimidés avant de s'attaquer à un sommet redoutable – et Dieu sait si la question n° 12, « profession », est délicate et vertigineuse –, c'est au moment précis où, ayant empli d'air non encore climatisé mes poumons, je me lançais que retentit, dans le bureau de la secrétaire, un durable cri d'horreur. Nous nous précipitâmes. Roxane aux ongles violets continuait de hurler, montrant sur son bureau le paquet qu'elle venait d'ouvrir, un amas de cartons au centre duquel reposaient deux petits cercueils noirs à nos deux noms, Me Fabiani et Mme Bâ, née Dyumasi Marguerite.
— Je m'en vais, je ne resterai pas une seconde de plus, je m'en vais !
Et elle s'enfuit. Le clap-clap précipité de ses tongs résonna longtemps dans le couloir.
Une scène me revint en mémoire. Mon premier voyage aérien. Dix minutes après le décollage poussif, le pilote pakistanais nous avait annoncé la nécessité de revenir, « pour des raisons techniques et à la grâce de Dieu ». L'hôtesse, blême, se tenait accrochée à la porte. Sitôt l'avion arrêté, elle avait sauté sur la piste.
— Plus jamais je ne volerai sur vos machines de merde !
Elle courait, maladroite, sur ses talons hauts, le béret en bataille, poursuivie par les officiels : je te démissionne, Maryse, aujourd'hui même, je te démissionne ! On avait entendu sa voix, de plus en plus lointaine : Plus jamais… machines de merde… Elle s'était faufilée dans un trou de grillage et avait disparu dans la brousse.
Me Benoît s'était changé en cascade. La sueur, à grosses gouttes, lui tombait du front. Et de larges taches sombres entouraient la naissance de ses bras.
— Que se passe-t-il, madame Bâ ?
— Rien de plus simple : nous dérangeons.
— Le commerce d'armes ou les contrats pétroliers, je comprendrais. Mais pour une petite affaire de visa ? Allons donc !
— Un visa illégal coûte deux millions de francs CFA, huit fois le salaire d'un ministre. Quand un pays n'a presque rien à vendre, il trafique des papiers administratifs.
— Justement, madame Bâ, vous, on vous a refusé votre demande.
— Les filières s'inquiètent. Faites-moi confiance, elles ont des motifs. Alors, maître Benoît, vous avez peur ? Vous renoncez ? Je dois changer d'avocat ?
Gloire à mon conseil ! Il n'hésita pas une seconde.
— Nous perdons du temps, madame Bâ. Si nous abordions cette question 12 ?